Art & Language : « La cartographie d’un monde immatériel »

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Collection Philippe Méaille. Copyright Le Château de Montsoreau - Musée d'art contemporain

Interview de Michael Baldwin et Mel Ramsden (Art & Language) A découvrir dans « Le Guide de survie digitale »

Certaines personnes ont suggéré que le travail de Art & Language et, en particulier, le travail d’indexation du début des années 1970 était précurseur du caractère algorithmique d’Internet. Alors que le caractère algorithmique des différents Index de Art & Language (les ensembles d’instructions nécessaires à leur construction et leur utilisation) ont anticipé les médias sociaux sur de nombreux aspects, les utilisateurs ou opérateurs de ces Index ne se limitaient que rarement à suivre les codes d’un comportement exclusivement positif (+) ou négatif (-). En effet, la complexité évidente de ces contenus était telle, que ces contenus ont produit ou plutôt ont « suscité » entre eux  des relations « transformatrices » (T). Il était peu probable que ces opérateurs se retrouvent dans un système binaire simpliste de « j’aime » ou « j’aime pas ». Utiliser un Index a toujours généré des défis et des contradictions.

Les matériaux (les contenus) avec lesquels les Index fonctionnent sont largement dotés d’un pouvoir auto-poétique : alors qu’ils sont à certains égards des contenus réflexifs (« sur » l’Art et Art & Language), à d’autres égards, cette réflexivité a produit aussi un contenu discursif externe. Les Index ont été construits et exploités de manière à donner un sens à tout cela. Au fur et à mesure que les projets d’indexation se sont développés – dans le « Handbook to Going-On » ou « Blurting in Art & Language », ils ont abordé de plus en plus souvent des sujets qui, au premier abord ont semblé triviaux ou dépourvus de sens. Ces sujets se sont à maintes reprises avérés très significatifs pour définir les frontières spirituelles de ces projets (comme photographier votre dîner, pour ainsi dire). Les Index étaient des choses lucioliques, fondées sur l’idée que les conséquences négatives et les critiques du modernisme avaient été récupérées par les entreprises institutionnelles du capitalisme moderne ; et que des projets et des productions artistiques radicalement incomplets et instables seraient les substrats d’une résistance et d’un retour de la négativité critique. C

ela impliquait de garder les Index hors de portée de l’institution capitaliste. Aujourd’hui, c’est cela qui nous inquiète : en se développant, les médias sociaux semblent  non seulement s’être alignés sur les absurdités et les pitreries de  «valeurs boursières» de la part de leurs propriétaires, mais aussi s’être alignés sur une «herméneutique» solipsiste de consommation de la part de leurs utilisateurs. Les complexités internes d’un type d’art conceptuel socialisé et socialisant peuvent en effet se retrouver dans les opérations de Google, Twitter, Facebook et Instagram et toute autre sorte de messagerie psycho-graphique pilotée par des ensembles de données. Les frontières sont tombées et ont été redéfinies à l’époque de la dépression nerveuse du modernisme, l’époque de la naissance de l’art conceptuel. Mais c’est aussi lors de cette chute et de cette redéfinition des frontières que le capitalisme a mis en place une machine qui absorbe jusqu’à sa propre négativité – qui absorbe même l’art conceptuel.

Amazon, Google, You Tube ainsi que les autres médias sociaux sont d’immenses machines dans la machine – attrayantes et séduisantes, émotives et organisatrices. Ils nous plongent dans des supercheries narcissiques et des opportunités fabuleuses. C’est quelque chose qui dépasse la société du spectacle.

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