Argenteuil et Gennevilliers : berceau des Impressionnistes

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Les bords de Seine en aval de Paris attirent depuis longtemps les Parisiens en mal de verdure. En 1851, la voie ferrée s’implante dans la capitale ; les parisiens passent alors leurs week-ends aux abords d’Argenteuil, Gennevilliers, Chatou, Poissy ; les guinguettes se multiplient et les peintres s’invitent. Retour sur les berges desquelles naît, le 27 décembre 1873, l’Association des Peintres Impressionnistes.

4 circuits à pied sont proposés au départ de l’île-des-Impressionnistes. Ces circuits proposent de suivre les traces de Monet, Renoir, Sisley et Pissarro lors de plus ou moins longues marches dans la nature longeant la rive. De nombreux spots contiennent la copie d’une oeuvre de ces peintres, disposée à l’endroit où le chevalet fut posé. Le « Chemin des Impressionnistes » est malheureusement assez mal connu des parisiens alors qu’il s’agit d’un des lieux majeurs de la peinture moderne et contemporaine où se trouvent de nombreux musées. L’île est pour sa part toujours un lieu de loisir ; le Hameau Fournaise est préservé et abrite un musée consacré à l’histoire du lieu ; le « Madame » de Maupassant est lui en restauration et, bientôt, remontera de nouveau les courants de la Seine.

« Un soir que nous nous promenions au bord de la Seine, je lui demandai de me raconter quelques anecdotes de sa vie nautique. Voilà immédiatement mon bonhomme qui s’anime, se transfigure, devient éloquent, presque poète. Il avait dans le coeur une grande passion, une passion dévorante, irrésistible : la rivière. » (Maupassant, Sur l’eau)

Gustave Caillebotte, Périssoires sur l’Yerres, 1877

Le Chemin des impressionnistes

Les peintres de la seconde moitié du XIXe siècle s’initient très rapidement au canotage et en pratiquent l’usage régulièrement lors de leurs séjours de villégiature. Monet, accompagné de Renoir, Caillebotte, Morisot et d’autres, voit dans les flots de la Seine et dans les voiliers qui l’occupent, l’une de ses plus grandes sources d’inspiration. Il s’installe à Argenteuil durant l’année 1871, suivant les conseils de son ami Edouard Manet qui y a sa maison familiale. Claude Monet s’éprend alors de la Seine et de son ambiance : les reflets mouvants sur la surface de l’eau, la lumière changeante à chaque heure de la journée, les feuillages des arbres sur les berges qui couvrent les guinguettes et les quais des canotiers. Il achète rapidement une barque qu’il transforme en atelier sur l’eau et dont Manet immortalise le portrait. En 1873, il est rejoint par d’autres peintres, notamment Renoir, Morisot, Sisley… Ils créent alors l’Association des Peintres Impressionnistes qui va bouleverser la production picturale européenne. Argenteuil est aujourd’hui considéré comme le berceau du mouvement Impressionniste, là où tout a commencé.

Claude Monet, Pont d’Argenteuil, 1874

« (…) la rivière est silencieuse et perfide. Elle ne gronde pas, elle coule toujours sans bruit, et ce mouvement éternel de l’eau qui coule est plus effrayant pour moi que les hautes vagues de l’océan. »

De l’autre côté de la rive se dresse la petite ville de Gennevilliers. Monet traverse quotidiennement le pont d’Argenteuil pour y rejoindre son ami Gustave Caillebotte. Ce dernier est la figure la plus marquante du cercle impressionniste. Excellent peintre, sa production picturale est pourtant dans l’ombre car son rôle le plus important est celui de mécène, d’organisateur d’exposition, d’ami de tous les peintres et de collectionneur. En 1881, il achète un domaine au bord de la Seine (aujourd’hui disparu). Tous les peintres vont et viennent pour profiter de la campagne et poser son chevalet dans le parc. Les quais d’Argenteuil font alors alors partie des lieux les plus fréquentés des peintres. Malgré la dislocation du cercle impressionniste la même année, le parc du Petit-Gennevilliers accueille ces anciens camarades et l’endroit reste lieu d’art et de plaisir.

Edouard Manet, Claude Monet dans son atelier, 1874

« Elle est belle pourtant quand elle brille au soleil levant et qu’elle clapote doucement entre ses berges couvertes de roseaux qui murmurent. ». Aujourd’hui, Gennevilliers et Argenteuil se battent pour restaurer leur patrimoine culturel dont les traces sont encore largement présentes mais qui ne sont que très peu mises en valeur malgré le rôle si important qu’ont les deux villes. Le quartier champêtre est devenu zone industrielle pour une partie mais il aspire à retrouver son caractère bucolique d’antan. Certaines démarches sont déjà appréciées, notamment celle d’une potentielle restauration de la maison de Monet et de son bateau-atelier pour les ouvrir prochainement au tourisme.

Les canotiers de Maupassant et de Renoir

« Je canote, je me baigne, je me baigne et je canote. Les rats et les grenouilles ont tellement l’habitude de me voir passer à toute heure de la nuit, avec ma lanterne à l’avant de mon bateau, qu’ils viennent me dire bonsoir. » (lettre de Maupassant à sa mère)

Maupassant avec la veuve de Bizet et la fille d’Alexandre Dumas sur le « Madame », 1889

Au départ d’Argenteuil, il suffit de longer l’aval en compagnie de Maupassant à bord de son canot « Madame » pour ensuite accoster à quelques kilomètres sur l’île-des-Impressionnistes à Chatou. Sur cette île est installé le couple Fournaise depuis 1857 : le mari a son atelier de charpentier de voiles ; la femme tient un restaurant. Les peintres, auteurs, personnages politiques, squattent rapidement l’île et y passent leurs meilleurs séjours. Auguste Renoir devient un ami intime du couple Fournaise et c’est à travers ses toiles que les souvenirs des moments passés sur cette île résonnent toujours aujourd’hui. Il y peint ses plus grands chefs-d’oeuvre comme La grenouillère en 1869, puis Le déjeuner des canotiers plus tard en 1881. Contrairement à ses camarades impressionnistes, Renoir préfère la fête aux paysages, l’ivresse au calme campagnard, les formes féminines aux courbes fluviales. L’île était alors son lieu privilégié car foyer de toutes les folies et obscénités.

« Les couples face à face cabriolaient éperdument, jetaient leurs jambes en l’air jusqu’au nez des vis-à-vis. Les femelles, désarticulées des cuisses, bondissaient dans un envolement de jupes révélant leurs dessous. Leurs pieds s’élevaient au-dessus de leur tête avec une facilité surprenante et elles balançaient leurs ventres, frétillaient de la croupe, secouaient leurs seins, répandant autour d’elles une senteur énergique de femmes en sueur. Les mâles s’accroupissaient comme des crapauds avec des gestes obscènes. »

Auguste Renoir, Le déjeuner des canotiers, 1881

La Grenouillère est fameuse notamment pour son « camembert » : un petit îlot bucolique au seul arbre qui le recouvre, dont les accès sont deux étroits pontons, l’un vers le restaurant, l’autre vers la terre. Ce sont souvent lors des beaux-jours que la gente mondaine s’y invite et on n’hésite pas à se baigner et à faire du canotage. Des peintres comme Caillebotte et Monet passent leur temps sur les bateaux ou sur le quai en train de les peindre. Guy de Maupassant partage cette passion avec les peintres et la retranscrit régulièrement dans ses nouvelles comme Sur l’eau, La femme de Paul, Une partie de Campagne. L’île-des-Impressionnistes était le point de ralliement des artistes et le point central de toutes leurs escapades sur les berges de la Seine ; les peintres s’y arrêtaient pour manger et passer du bon temps, puis ils partaient en canot ou à pied pour peindre chacun leurs impressions du fleuve. Marly-le-Roi, Carrières-sur-Seine, Suresnes, Croissy, Bougival… tant de lieux où se sont posés les chevalets des Impressionnistes. Les reflets ne sont jamais les mêmes et les peintres n’en sont jamais essoufflés ; ils épuisent jusqu’au dernier poil de brosse et jusqu’au dernier pigment de couleur.

Auguste Renoir, La grenouillère, 1869

« Les bateaux, un à un, se détachaient du ponton. Les tireurs se penchaient en avant, puis se renversaient d’un mouvement régulier ; et, sous l’impulsion des longues rames recourbées, les yoles rapides glissaient sur la rivière, s’éloignaient, diminuaient, disparaissaient enfin sous l’autre pont, celui du chemin de fer, en descendant vers la Grenouillère. » (La femme de Paul)

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