Quand la prison de Clairvaux donne de la voix à ses détenus

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Vue des coursives de la prison prise le 31 janvier 2006 à la centrale de Clairvaux. Dans une lettre rendue publique la semaine dernière, dix condamnés à perpétuité de Clairvaux, se disant "emmurés vivants", ont appelé à un rétablissement de la peine de mort. AFP PHOTO JACK GUEZ (Photo by JACK GUEZ / AFP)

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Le compositeur Thierry Machuel et la vidéaste Marion Lachaise ont donné la parole aux détenus de la maison centrale de Clairvaux, en Champagne, dans le cadre du Festival de musique qui s’est tenu dans l’abbaye adjacente du 23 au 25 septembre ; l’un à travers un oratorio solennel et joyeux, l’autre par des confessions filmées poignantes et poétiques.

L’ombre et la lumière étaient au cœur de cette 8e édition qui se déroule dans l’enceinte de cette abbaye du XIIe siècle créée par Bernard de Clairvaux et transformée en prison sous Napoléon I. Depuis, ces murs historiques et délabrés sont emprégnés dans la rétine des détenus condamnés aux très longues peines peines, au-delà de 10 ans. Ombres noires des cachots, lumières crues des miradors, noirceur du doute et des âmes, lueur présumée dans l’espoir d’une sortie possible, un jour… Les concerts, dont celui donné par le célèbre haute-contre français Gérard Lesne, se sont succédés dans l’ancien réfectoire des moines jusqu’au magistral opéra choral de Thierry Machuel, composé à partir des textes des détenus.

L’œuvre contemporaine de Thierry Machuel intitulée « Les parloirs » interprétée par 18 chanteurs et 5 musiciens, dont le pianiste François-René Duchâble, ont porté haut et fort le destin de ces condamnés. « J’attends aujourd’hui encore et demain j’attendrai ». Le concert, filmé, sera projeté prochainement aux détenus qui, de leurs cellules voisines, ont déjà pu entendre quelques notes et surtout l’ovation du public en fin de représentation. « C’est une immense fierté pour eux » reconnaît Thierry Machuel qui les a accompagnés durant un an dans l’écriture des textes lors d’ateliers dédiés.

marion-lachaise.jpgUn film de 16 minutes a également été projeté dans l’Hostellerie des dames : Marion Lachaise y a livré ses entretiens filmés avec 7 des 146 hommes incarcérés. Volontaires, ils ont répondu présents à la proposition de l’artiste de parler de leur rapport à la lumière, à l’espace, à l’intimité. « Les portraits des détenus sont des portraits en mouvement », explique t-elle. Pas de détail vestimentaire, pas de ressemblance véritable, elle les définit comme des « anti-portraits », des portraits intérieurs. Sur les visages des détenus, Marion Lachaise a superposé de petits objets, des statuettes confectionnées par les prisonniers lors d’un atelier de modelage. L’artiste leur a demandé de « réaliser quelque chose qui leur est cher ». Puis elle a cherché la meilleure adéquation entre l’objet choisi et la figure. Juxtaposition d’un homme et de la chose qui le représente le mieux. Extraits.

Gros plan sur l’œil du détenu, interrogateur…
« C’est incompréhensible de garder les gens enfermés autant d’années. »
« La nuit, c’est le néant. »

Mains du détenu, larges, solides…
« Les grues sont parties. J’avais fait une petite cage pour elles… »
« Avec le temps, on garde les choses pour soi. »

Barreaux plein écran, en noir et blanc…
« J’ai aménagé ma cellule comme un studio. J’ai camouflé mes barreaux… »

Bouche animée, lèvres généreuses.
« Je vais sur ma 19e année et depuis 1992, je n’ai plus vu le jour. J’ai été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. »

Flan droit du visage, trouble…
« Parfois on entend un corbeau, un chien au loin, une porte qui s’ouvre, les cris dans le couloir. »
« Je sens les gens qui me sont proches, par les rêves. »
« On a 50 cm pour marcher sur la longueur. »

Œilleton, en volume… 
« On est hors du temps. Durer, c’est se préserver. »
« 2021, il me reste 10 ans. »