Pourquoi les oeuvres des autoroutes sont-elles si laides ?

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L’art des autoroutes ! Voilà longtemps que je m’étais promis, malgré ma furieuse envie d’excès de vitesse à sa simple vue, de m’intéresser à cette oeuvre que des millions d’automobilistes ont dans leur champ de vision dès qu’ils descendent vers le Sud ! Profitant de ma route des vacances, et aussitôt franchi le péage de Fleury-en-Biere (Seine et Marne) sur l’autoroute A6, j’ai donc fait un arrêt pour regarder de plus près ce qui ressemble à des pâtés d’écolier laissés sur un cahier à gros carreaux. Renseignements pris, cette fresque a été imaginée par le peintre yougoslave Djoka Ivackovic (né en 1930) et réalisée par le maître céramiste Alain Girard en 1991. Du carrelage grand format. Représentant du courant de l’abstraction lyrique, j’ai ainsi découvert qu’Ivackovic est connu pour peindre exclusivement sur des formats carrés. Le fond blanc y est apparent, et chaque peinture est exécutée en une seule séance de travail. « Ces repères précis et intangibles sont la seule géométrie que s’impose l’artiste, ils isolent la peinture et renforcent la vivacité de l’émotion qu’elle véhicule », lit-on sur le site de la Collection Société Générale. « Véhicule »… le mot est bien trouvé… Dkoka Ivakovic est l’un des nombreux artistes à avoir bénéficié du décret du 1% aux investissements routiers instauré en 1982.  Faut-il s’en réjouir ? C’est malheureusement ce genre d’oeuvres qui fait croire au plus grand nombre que l’art contemporain n’a pas de sens.

10 Commentaires

  1. Vaste,trèès vaste sujet que l’art d’autoroute, ses aires et le 1% culturel.3 pages Google de sites n’y suffiraient pas. Cet univers-là est un para-monde, il est compris dans le paysage et en même temps,il ne s’y donne accès que par les bien nommées entrées et sorties:un peu comme un ascenseur « plan » avec ses paliers, ou cette machine à voyager dans le temps d’Asimov dans « La fin de l’Eternité ».
    Et quid des aires d’autoroute? Le génial Cortazar en avait tiré un de ses derniers livres et certaines ( et même beaucoup à mes yeux) font littéralement « art », tels l’Aire du Jura ou cet espace de méditation autoroutier en Suisse…

  2. Quelques généralités sur l’art, dont « l’art d’autoroute » serait une sous catégorie de l’art en général. Compte tenue de la dimension non esthétique de l’art en général, ou de l’art contemporain, « l’art d’autoroute » n’implique pas qu’il soit beau, ou agréable. Une œuvre d’art, ou l’art n’a pas pour nature ou fonction d’être beaux pour exister en tant qu’art. Mais qu’elle est cette fonction qui fait que ça reste de l’art? Est-ce la commande institutionnelle ou alternative qui fait la caractère, le statut de l’art comme art?
    Le présupposé selon lequel un artiste fait à chaque fois (toujours) de l’art n’est pas évident. Les artistes ne font pas toujours de l’art, et il semble que plus un artiste entre dans un processus de commande, moins il fait de l’art, parce qu’il ne fait pas cet art librement. Le simple fait qu’il répète son style est un conformisme dont doit se méfier l’artiste. S’il entre dans cette compulsion de répétition, il est bon pour aller consulter. Mais en même temps, si il était complètement libre, il n’y aurait aucun enjeu à faire de l’art. Donc la question de l’art d’autoroute est une alternative « in situ » de l’art, mais une alternative tout de suite soumise à un soupçon, qui ne manque pas de rappeler celui de l’art moderne ou du courant postmoderne. On se souvient de l’expérience esthétique faite par Tony Smith sur une autoroute, qui a modifié sa production et son approche de l’art. On peut aussi interroger l’art comme chose autonome ou mélée au monde réel, mais pour l’identifier, il faut au minimum l’appeler par un nom qui échappe à toute convention admises. Les « choses » de l’art sont la première phase de dé-identification et de ré-identification de l’art…
    Est-ce de l’art? Comme l’a très bien fait remarqué Thierry De Duve, ce qui identifie une qualité artistique ne tient plus tant à son médium (peinture, sculpture) et on ne peut plus depuis bien longtemps revenir à la question incompressible « est-ce de la peinture? », « est-ce de la sculpture? », voire même « est-ce de la photographie? ».
    Les « choses » de l’art, parfois pas très faciles à identifier, à défaut d’un système institutionnel capable de le faire, se perdent dans le monde réel. C’est bien le scandale artistique le plus grand actuel que de faire admettre par le grand public que l’art se résume à un défilé de mode, avec ses mondanités, ses vernissages savament préparés. A la limite de notre perception, ces choses questionnent par elles leurs statuts. Mais le « statut » de quelque chose implique pour qu’il existe une convention de ce statut et que toute la société soit présente : les publics, les artistes, sinon, l’art est amputé de sa tête, de sa sphère publique. Or la sphère publique de l’art est quasiment inexistante dans notre pays, même si elle existe formellement. L’expression publique de l’art est toujours plus ou moins malmenée par des intérêts privés. Le fait par exemple que les légendes géographiques étaient absentes à propos des photos de la Cisjordanie de Sophie Ristelhueber (« Opérations », Jeu de paume l’année dernière, 2009) montre que des intérêts privés et politiques amputent les modalités minimales d’un art autrement esthétique, proto-politique. Cette disparition de la critique d’un art dit critique montre que nous ne sommes plus dans un espace public. Les autoroutes en France, si elles sont devenues un réseau privé, revient à dire que l’art d’autoroute n’est pas actuel, il doit rester formel et donc simplement esthétique. Il doit divertir autant que l’auto radio, en plus de son aspect culturel rafraîchissant.

  3. Petite rectification le maître Céramiste qui a réalisé La Céramique Carrée est Alain Giard et non Alain Girard, il s’agit là de l’un de ses derniers grands travaux avant sa disparition, dans les années 90, si ma mémoire est bonne ça devait être vers 1994 ou 1995.

  4. … Petite précision quant à la nature de cette oeuvre un peu particulière.
    Cette céramique est la fidèle reproduction en grand format d’une peinture (huile sur toile) du peintre Djoka Ivackovic. Ce n’est donc pas une « oeuvre d’art d’autoroute ». C’est la rencontre entre une oeuvre, des responsables industriels, des politiques et un artiste céramiste qui a permis la réalisation de cette fresque. Cette oeuvre n’est pas née d’une commande. Actuellement, je crois que ce qui empêche tout simplement que ce geste soit perçu c’est… son manque de visibilité! Les arbres ont poussé et personne ne se soucie de les tailler!

  5. Il faudrait, en matière de critique artistique, arrêter de se payer de mots. La soit disante oeuvre d’Art ici présente, est indéfendable. On n’ empêchera jamais qu’ une merde soit une merde. Quel qu’ en soit l’ auteur. Ceci ne met pas l’ Art moderne en accusation, loin de là, mais seulement sa critique. Une critique d’ exégètes qui anesthésient leur impuissance dans le bavardage.
    Je suis tenté de citer Montaigne et de dire ceci: » vous ne ferez pas croire à mon palais que l’ aloès est du vin de grave »

  6. La fresque du péage de Fleury a été inaugurée le 10 avril 1991 et a été reproduite par Alain Giard céramiste sur lave émaillée. Il a réalisé de nombreuses fresques en France et à l’étranger, originales ou à partir d’oeuvres existantes (reproduction à l’identique agrandie sur lave émaillée) notamment d’Olivier Debré.
    Celle d’Ivackovic n’est pas du « carrelage » puisqu’il s’agit de lave émaillée et il a fallu un an de travail pour reproduire « l’oeuvre » qui prend une autre dimension sur ce support.
    Autre précision : il est décédé le 16 octobre 1991

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